Je me souviens des cris qui ont éclaté dans le couloir, non loin de la chambre à coucher que je partageais avec ma sœur cadette. C'était ma mère. Ce jour-là, un fils, un frère, un mari et, pour moi, un père, est parti. Ma mère au foyer s'est retrouvée à nous élever seule, mes cinq frères et sœurs et moi, sans le soutien financier d'une assurance vie ni même le temps de vivre son deuil. Ma mère a immédiatement été obligée de retourner au collège et de trouver un emploi, tout en s'occupant de ses six enfants. Toute ma famille a été anéantie et nous pleurerons à jamais la perte prématurée de mon père, mais nous n'avions pas le luxe de prendre le temps de nous demander « pourquoi nous? » et de nier l'existence des énormes obstacles qui nous attendaient. Ma mère nous a appris à être résilients, coriaces et ambitieux, mais surtout à prendre soin les uns les autres. Ainsi, je me suis occupée de ma sœur cadette à un jeune âge pendant que ma mère travaillait de longues heures. Dès mon plus jeune âge, j'ai compris que je n'étais pas aussi chanceuse que les autres enfants. Ma mère était désabusée et peinait à payer des choses simples, comme les activités parascolaires, de nouveaux vêtements et même les frais de garde d'enfants. Néanmoins, forte d'une persévérance indéfectible, j'ai refusé d'accepter que notre situation financière détermine notre destin. Dès que nous avons atteint l'âge légal, ma fratrie et moi avons travaillé en dehors des heures de cours pour payer nos dépenses personnelles et une partie du prêt hypothécaire pour notre vieille maison qui se délabrait. Avec le recul, je ne peux m'empêcher de me demander comment les choses auraient pu être différentes si mon père était encore parmi nous et s'il avait souscrit une assurance vie avant le drame. En raison du manque de soutien financier et de l'absence d'une figure paternelle dans ma vie, j'ai été privée de possibilités que d'autres tiennent pour acquises et j'ai été forcée de me battre pour tout ce que j'espérais devenir. Dans ce contexte, surmonter divers obstacles a façonné la femme déterminée, travailleuse et forte que je suis aujourd'hui. Désireuse de devenir physiothérapeute et d'aider les autres, j'ai excellé à l'école secondaire pour étudier en kinésiologie à l'Université Western. Je paie moi-même mes droits de scolarité, mon hébergement et mes frais de subsistance avec l'argent que j'ai gagné dans le cadre de mon emploi étudiant. Quoi qu'il en soit, même si je suis fière, j'ai besoin d'aide financière. Mon programme d'études est exigeant et en raison des contraintes associées à une future maîtrise, je dois surveiller les dépenses en plus d'obtenir une moyenne générale d'au moins 3,9. Je suis terrifiée.
Terrifiée de jongler entre les études et un emploi à temps partiel. Terrifiée de ne pas être en mesure de prendre soin de ma famille en détresse. Mais surtout, terrifiée de ne pas avoir les moyens de concrétiser mes aspirations sans m'endetter lourdement. Bon nombre de personnes pourraient se dire que la vie est injuste quand leurs proches décèdent ou quand elles sont perpétuellement dans la précarité financière. Je considère plutôt mes coups durs comme des bénédictions déguisées, car malgré les nombreux défis auxquels je suis confrontée, je suis très reconnaissante. Reconnaissante d'être proche de ma famille, d'être entourée d'amis qui me soutiennent et de ne jamais abandonner mes rêves.
