La seule fois où je me suis vraiment senti ébranlé, c’était quand j’avais 13 ans. Il ne s’agissait pas d’un malaise typique, mais d’une crainte qui a traversé ma peau et grondé dans mes os. Ma sœur est entrée dans ma chambre pour m’annoncer la nouvelle : notre père venait de mourir. Elle est partie en larmes, comme si le fait de me le dire rendait la chose réelle, mais mes yeux sont restés secs. Au lieu de cela, j’ai rampé sous ma couverture et je suis restée là, tremblant. Et maintenant? J’avais peur. J’avais peur, non seulement parce que mon père était décédé, mais aussi parce que je ne savais pas comment ma famille allait procéder. Je savais que papa n’avait pas prévu ça, et je savais que maman ne gagnait pas assez d’argent. La mort de mon père a donné naissance à une angoisse financière omniprésente qui allait façonner ma vie à partir de ce moment-là.
À mes 16 ans, j’ai commencé à occuper sans arrêt des emplois rémunérés au salaire minimum, que ce soit le soir, les fins de semaine, l’été. Il était difficile de se concentrer à l’école à cause de cette anxiété financière. Mes notes avaient baissé et j’avais perdu l’espoir d’aller à l’université comme j’en avais rêvé. J’ai fait beaucoup de sacrifices pendant les quelques années où j’ai travaillé, tout cela parce que je voulais que cette anxiété disparaisse. Je n’ai pas pu passer du temps avec mes amis, faire des activités scolaires et avoir l’insouciance dont les autres jouissent à cet âge.
Quand j’ai eu 19 ans, je me suis heurté à un mur. Le coût du travail ininterrompu s’est fait sentir. Le fait de voir mes camarades faire des études postsecondaires m’a bouleversé, car je devais continuer à racler les planchers pour joindre les deux bouts. Plus difficile encore, en affrontant le vide dans mon cœur, j’ai finalement fait le deuil de mon père. Ce zénith de mes émotions d’adolescent m’a laissé à la croisée des chemins. Je pouvais me coucher sous le poids des tragédies de ma vie, ou refuser ce destin.
C’est à partir de mes 21 ans que j’ai commencé à retirer les bénéfices de ces tragédies. Je me suis rendu compte que le fait de recevoir un jeu de cartes différent ne vous élimine pas du jeu. J’ai ainsi pu raviver mes aspirations latentes en matière d’éducation. Oui, je ne pouvais pas marcher sur la route traditionnelle, mais je pouvais suivre mon propre chemin. C’était risqué de travailler un peu moins, mais je l’ai fait pour suivre des cours du soir. C’est ainsi qu’une voie d’avenir a commencé à se dessiner.
J’ai maintenant 24 ans et je fais tout pour obtenir un baccalauréat. Bien que ces sentiments de crainte, de tristesse, de douleur et d’anxiété financière m’envahissent encore de temps en temps, je persiste. Ces événements de la vie ont découlé du décès de papa, et le manque de planification financière a rendu la situation encore plus difficile. Disposer d’un filet de sécurité à 13 ans, que ce soit par le biais d’une épargne ou d’une assurance vie, aurait permis d’éviter que cette anxiété se forme et dicte mon adolescence. Même sans cela, je suis déterminé à terminer mon diplôme pour faire des études supérieures et, je l’espère, d’autres études par la suite. Par ailleurs, je continuerai d’insister sur l’importance de la planification. Je veux faire en sorte que ceux qui viendront après moi ne soient jamais ébranlés comme je l’ai été.