Remarque : Le présent numéro d’Actualité fiscale ne s’applique pas au Québec
Propriété conjointe et assurance vie
Dernière mise à jour : février 2024
Introduction
Avant de conclure un accord de copropriété ou de propriété conjointe avec des membres de la famille ou d’autres personnes à l’égard d’un bien, quel qu’il soit, il est important d’examiner les nombreux aspects d’un tel accord. L’assurance vie et les placements comportent des subtilités dont on doit tenir compte avant d’opter pour un accord de copropriété. Le présent numéro d’Actualité fiscale examine les aspects juridiques et fiscaux de la propriété conjointe et la façon dont ces aspects s’appliquent à un contrat d’assurance vie détenu conjointement.
En quoi consiste la propriété conjointe?
En général, il existe deux types de propriété : la tenance commune et la tenance conjointe. La tenance commune est une forme de propriété selon laquelle chacun des propriétaires (tenants) détient un intérêt indivis dans un bien. L’intérêt détenu en commun par un propriétaire ne prend pas fin à son décès. Chaque titulaire détient son propre titre de propriété distinct à l’égard des biens. Le tenant commun possède une participation dans le bien et cette participation peut être disjointe, fractionnée ou vendue. Les tenants conjoints ont le même intérêt dans le bien. Contrairement aux tenants communs, au décès de l’un des tenants conjoints, l’autre a un droit de survie rattaché à l’intérêt du tenant décédé. L’intérêt du tenant conjoint décédé n’est pas transmis à ses ayants droit, et il n’est donc pas distribué selon les dispositions de son testament ni conformément aux lois sur les successions ab intestat si le tenant est décédé ab intestat.
Un contrat d’assurance vie ne diffère pas des autres types de bien; il peut donc être détenu dans le cadre d’une tenance conjointe ou d’une tenance commune. En l’absence d’un énoncé contractuel à cet effet, la propriété d’un contrat d’assurance vie est, par défaut, une tenance conjointe. Toutefois, certains assureurs peuvent avoir des mécanismes qui placent la tenance commune comme la propriété par défaut. C’est pourquoi il est important de bien examiner la section sur la propriété lors d’une proposition d’assurance.
Quant à savoir qui devrait détenir le contrat, cela dépend de la situation. On doit poser un certain nombre de questions avant de déterminer qui devrait détenir l’assurance. Dans un cadre familial, les conjoints sont souvent cotitulaires d’un contrat. Ce qui est rare dans cette situation est une tenance commune. Alors que les conjoints optent généralement pour la copropriété (souvent associée à une couverture conjointe dernier décès), elle peut poser un problème advenant une séparation, surtout en présence d’une couverture conjointe dernier décès. La possibilité de fractionner le contrat dépend des conditions contractuelles puis, si elles l’autorisent, de la méthode de fractionnement employée par la compagnie d’assurance. Pour obtenir des précisions sur les problèmes potentiels, y compris les questions d’ordre fiscal, reportez-vous au numéro d’Actualité fiscale intitulé Rupture du mariage – Assurance vie et droits de propriété.
Tenance conjointe
Vous trouverez ci-après l’historique de la copropriété et certaines causes qui ont principalement porté sur des comptes bancaires ou de placement, car le même type d’arguments et de considérations peuvent s’appliquer à la propriété de l’assurance vie.
a) Dons
Une entente de tenance conjointe doit réunir quatre éléments : l’unité de possession, l’unité d’intérêt, l’unité de titre et l’unité de temps. Bien que ces quatre unités aient guidé le tribunal pour déterminer s’il existe ou non une entente de tenance conjointe, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») s’est penchée sur deux causes qui lui ont permis d’approfondir la question, à savoir si la propriété conjointe produit toujours les mêmes conséquences juridiques.
Dans les causes Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17, et Madsen Estate c. Saylor, 2007 CSC 18, un père de famille avait nommé sa fille cotitulaire de ses comptes de banque et de placement. La Cour a tenu compte du contexte actuel, où il est fréquent que des personnes âgées désignent leurs enfants cotitulaires de comptes pour les aider à gérer leurs affaires et à des fins de planification successorale.
Il ressort de l’examen de ces deux causes que l’intention de détenir un bien conjointement doit être sérieusement prise en considération eu égard à la preuve présentée. La CSC a indiqué qu’elle étudiera les actions du cédant, le libellé des documents signés, les personnes qui ont déposé des sommes dans les comptes ainsi que le contrôle et l’utilisation des fonds placés dans les comptes. Ces données aideront à interpréter l’intention du cédant.
Les clauses standard des documents bancaires ne fournissent généralement pas une preuve de l’intention (consulter l’affaire Kyle c. Kyle Estate, 2016 BCSC 855). Mieux vaut documenter clairement l’intention de don au moment où celui-ci est effectué plutôt que de s’appuyer sur une autre preuve qui pourrait ne pas être suffisamment claire pour convaincre la Cour que le don était intentionnel.
Il convient de noter l’affaire Calmusky c. Calmusky, 2020 ONSC 1506 (CanLII), qui présentait un défi intéressant pour les désignations de bénéficiaire. L’argument de la fiducie résultoire visait les comptes bancaires conjoints et la désignation de bénéficiaire d’un FERR qui ne constituait pas une assurance vie. Le tribunal a tranché en faveur d’une fiducie résultoire pour le compte bancaire conjoint et le FERR assorti d’une désignation. L’affaire a soulevé des questions, notamment si on pourrait faire valoir les mêmes types d’arguments relativement aux désignations de bénéficiaire effectuées dans le cadre de contrats d’assurance vie, et des observations ont été présentées au gouvernement provincial par l’Association du Barreau de l’Ontario. Dans une affaire ultérieure – Mak (Estate) c. Mak, 2021 ONSC 4415 (CanLII) – la décision contraire a été rendue, ce qui a été bien accueilli par les praticiens. Le tribunal n’a pas retenu l’argument selon lequel une fiducie résultoire existait relativement à un FERR. Malgré la décision dans l’affaire Mak (Estate) c. Mak, il est important de documenter l’intention du titulaire de contrat au moment d’établir ou de modifier une désignation de bénéficiaire, car il existe encore un certain flou malgré la décision dans l’affaire Mak.
b) Propriété en common law et propriété bénéficiaire
Le droit dans le domaine de la tenance conjointe continue d’évoluer et tient compte des concepts de propriété en common law et de propriété bénéficiaire. Dans l’affaire Lowe Estate c. Lowe, 2014 ONSC 2436 (CanLII), le fiduciaire de la succession a allégué que les sommes détenues dans le compte conjoint faisaient partie de la succession par le biais d’une fiducie résultoire. La question à résoudre ne portait pas sur la dévolution des fonds du compte au cotitulaire survivant aux termes du droit de survie, mais plutôt sur la détermination du propriétaire bénéficiaire des fonds. À la lumière des éléments de preuve qui lui ont été soumis, le tribunal a établi que les comptes conjoints détenus ne faisaient pas partie de la succession par le biais d’une fiducie résultoire. Le juge a statué que le défunt avait manifesté l’intention d’utiliser le compte conjoint comme un outil de planification successorale et en guise de solution de rechange à la rédaction d’un nouveau testament ou à l’ajout d’un codicille à son testament existant.
La question de l’intérêt bénéficiaire a aussi été étudiée dans l’affaire Sawdon Estate c. Sawdon, 2014 ONCA 101 (CanLII). La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les enfants du défunt avaient droit aux fonds des comptes bancaires. Le tribunal a déterminé qu’à partir du moment où les comptes bancaires ont été ouverts, les personnes qui en avaient la propriété légale détenaient en fiducie le droit de survie au nom des autres enfants.
À mesure que la jurisprudence évolue, la distinction entre « propriété bénéficiaire » et « propriété en common law » est étroitement liée à la détermination de l’application de la présomption de fiducie résultoire. La copropriété conjointe établit en effet une distinction entre la propriété en common law et la propriété bénéficiaire.
- Qu’entend-on par propriété en common law?
Le titre en common law visant un actif ou un bien est détenu par un particulier. Celui-ci peut également détenir un intérêt bénéficiaire, à moins que son droit se limite au titre en common law. Si la propriété bénéficiaire d’un bien est détenue par une personne autre que le détenteur du titre en common law, ce dernier aura des obligations fiduciaires à l’égard du propriétaire bénéficiaire relativement au bien en question.
- Qu’entend-on par propriété bénéficiaire?
La propriété bénéficiaire s’entend d’une situation où une personne détient la propriété en common law d’un bien à l’égard duquel une autre personne détient des droits. Le bien est alors détenu pour le compte de cette autre personne, et le propriétaire en common law a des obligations fiduciaires à l’endroit de cette dernière, le propriétaire bénéficiaire. Si un particulier possède tant la propriété en common law que la propriété bénéficiaire d’un actif ou d’un bien, cette distinction est moins pertinente parce qu’il est présumé que la totalité des droits dans le bien seront transférés au décès.
Comment les tenances conjointes sont-elles imposées habituellement?
Dans le cadre d’une propriété conjointe, le principe juridique de base veut que chaque partie possède le bien intégralement. Cependant, le traitement fiscal actuel appliqué aux biens détenus conjointement suppose que les intérêts de chaque copropriétaire sont divisibles. La divergence entre le principe juridique et le traitement fiscal donne un résultat intéressant dans le contexte de l’assurance vie, et cela peut amener les assureurs à appliquer un traitement fiscal différent dans des situations analogues.
Le transfert par A d’un contrat d’assurance à A et B, qui en deviennent alors les cotitulaires, entraînera une disposition de 50 % de l’intérêt dans le contrat au moment du transfert, sauf si le transfert en question est considéré comme étant libre d’impôt conformément aux dispositions de roulement de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Pour en savoir davantage sur l’application des dispositions de roulement, consultez les bulletins Actualité fiscale intitulés Transfert intergénérationnel d’un contrat d’assurance vie et Transfert d’un contrat d’assurance détenu par un particulier. En supposant que les dispositions de roulement ne s’appliquent pas, il serait avisé de bien réfléchir avant de procéder au transfert du contrat pour en faire une propriété conjointe, car, si la valeur de rachat du contrat excède son coût de base rajusté (CBR), le transfert pourrait donner lieu à un gain imposable au titre du contrat (déclaration de revenus T5).
Si A et B sont cotitulaires du contrat, au décès de A, son intérêt dans le contrat sera dévolu à B, puisqu’il est le propriétaire survivant. Le décès de A n’entraînerait pas la disposition du bien (en l’occurrence, le contrat) puisque A et B, au moment de l’établissement de la tenance conjointe, possédaient chacun le bien intégralement. Cependant, selon l’interprétation technique no 2005-0152011E5, l’ARC considère qu’au décès de A, il y a disposition de la moitié de l’intérêt dans le bien (de A) à B à ce moment-là.
Il est possible que les assureurs n’appliquent pas tous le même traitement fiscal advenant le décès de A. Certains considéreront que le décès de A entraînera un changement dans l’intérêt détenu dans le bien, puis la disposition de la moitié de l’intérêt du défunt dans le contrat d’assurance. Ce raisonnement est en accord avec la position de l’ARC. Par contre, d’autres assureurs considéreront qu’au moment du décès, il y a disposition du contrat intégral suivie d’une nouvelle acquisition. Cette position est plus facile à gérer, car elle suppose que les titulaires du contrat possèdent chacun un intérêt et un CBR, et que le rajustement ne nécessite donc pas un suivi et le fractionnement du CBR du contrat. Quel que soit le raisonnement adopté, il n’y aura pas d’impôt à payer à la suite de la disposition si le transfert est conforme à l’une des dispositions de roulement contenues dans la Loi.
Incidences de la propriété conjointe sur les droits au titre du contrat
Du vivant
La désignation de bénéficiaire constitue l’un des défis que pose la propriété conjointe. Les deux cotitulaires doivent s’entendre sur le choix d’un bénéficiaire et signer un document de désignation. Un cotitulaire ne peut pas modifier la désignation sans le consentement écrit et signé de l’autre cotitulaire. Par conséquent, les deux cotitulaires doivent s’assurer qu’ils sont d’accord sur le choix du bénéficiaire et qu’ils seront capables de s’entendre sur une nouvelle désignation si l’un d’entre eux désire, plus tard, changer le bénéficiaire.
De plus, un cotitulaire ne peut exercer ses droits contractuels unilatéralement sans avoir obtenu le consentement écrit et signé de l’autre cotitulaire. Les deux cotitulaires devront fournir leur consentement pour toute opération à effectuer au titre du contrat (modification des placements, cession du contrat en garantie d’un emprunt, avance sur contrat ou rachat du contrat). Les droits d’un cotitulaire sont donc limités par le droit de propriété de l’autre cotitulaire du contrat.
En général, pour les contrats hors des contrats d’assurance vie, une tenance conjointe ne peut pas être disjointe unilatéralement, sauf dans les circonstances suivantes : 1) par une action unilatérale d’un des tenants; 2) par une entente mutuelle; 3) par une opération commerciale dans le cadre de laquelle les parties s’entendent pour détenir le bien en vertu d’une tenance commune; 4) par une ordonnance du tribunal.
Cependant, l’interprétation de ce qui précède peut différer d’une province à l’autre. Par exemple, les tribunaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique adoptent des positions différentes. En 1993, dans la cause Tompskins Estate c. Tompskins, 1993 CanLII 1119 (BCCA), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué que la partie qui revendique la disjonction doit prouver non seulement que les deux parties traitaient leurs intérêts séparément, mais qu’elles se fiaient à la représentation ou les actions de l’autre partie de telle sorte qu’il était maintenant injuste pour l’autre partie d’affirmer qu’il y avait une tenance conjointe. Cependant, dans l’arrêt Hansen Estate c. Hansen, 2012 ONCA (CanLII), la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’une telle confiance préjudiciable n’était pas nécessaire et qu’il suffisait d’établir que chacune des parties était au courant des intentions de l’autre et que les deux parties traitaient leurs intérêts propres dans le bien comme n’étant plus conjoints.
Lorsqu’il est question d’assurance vie, les dispositions contractuelles indiqueront souvent ce qu’il adviendrait du contrat à la suite de la disjonction de la propriété conjointe. Ainsi, le contrat et ses valeurs ou fonds sous-jacents pourraient être fractionnés ou répartis également entre les parties. L’un des ex-cotitulaires pourrait conserver le contrat initial alors que l’autre souscrirait un nouveau contrat. Chaque situation sera abordée différemment compte tenu du libellé du contrat et de la position de l’assureur quant au traitement fiscal.
Rupture de mariage
Lorsqu’il y a rupture, un partage ou une égalisation des biens entre les parties survient. Selon la province, ce partage peut aussi s’appliquer aux conjoints de fait. Dans la plupart des cas, l’assurance vie fera partie du partage ou de l’égalisation. La possibilité de fractionner un contrat dépend des modalités du contrat et de la faisabilité du fractionnement. Pour de plus amples renseignements à ce sujet, consultez le numéro d’Actualité fiscale intitulé « Rupture du mariage – Assurance vie et droits de propriété ». Il faut faire preuve d’une grande prudence lorsque des personnes souhaitent détenir un contrat d’assurance vie en tenance conjointe, car en cas de rupture du mariage, dans bien des cas, il est impossible de fractionner un contrat d’assurance vie, surtout s’agissant d’une couverture conjointe dernier décès. Par conséquent, avant de choisir ce type de propriété, il importe de discuter exhaustivement avec les clients des conséquences de l’impossibilité de fractionner le contrat.
Capacité
Lorsque les cotitulaires sont tous deux jugés aptes, ils peuvent prendre de concert les décisions au titre du contrat. Cependant, si l’un des cotitulaires est frappé d’incapacité, l’autre peut se retrouver avec un contrat qu’il ne peut pas gérer. Comme le consentement et la signature des deux cotitulaires sont exigés pour toute opération à effectuer au titre du contrat, les cotitulaires doivent être tous deux capables de remplir ces exigences.
Souvent, un mandat (ou procuration) perpétuel visant l’ensemble des biens est insuffisant, précisément dans le cas d’un contrat d’assurance vie. Il est possible de régler ce problème de façon pratique en ajoutant au mandat une mention relative au contrat d’assurance, donnant au mandataire l’autorisation d’effectuer des opérations au titre du contrat. Bien que cette solution permette au mandataire de gérer le contrat, des problèmes peuvent toujours survenir. En effet, un mandataire ne peut pas transférer, effectuer ou modifier une désignation de bénéficiaire. Dans cette situation, le cotitulaire jugé apte peut être contraint de respecter la désignation de bénéficiaire effectuée avant que l’autre cotitulaire ne soit frappé d’incapacité. La seule solution pourrait être de s’adresser au tribunal pour obtenir des directives. Le tribunal pourrait être réticent à permettre la désignation d’un bénéficiaire ou la modification d’une désignation, à moins que cela ne cadre avec le plan successoral global du cotitulaire frappé d’incapacité. Il serait toutefois possible de le convaincre du bien-fondé d’une désignation de bénéficiaire ou de la modification d’une désignation en lui présentant un plan fiscal et successoral qui tient compte de l’intérêt du cotitulaire frappé d’incapacité.
Lorsque le mandat ne contient aucune mention relative au contrat (ce qui est souvent le cas), il faut s’en remettre à la loi provinciale applicable. La validité du mandat quant aux exigences de la loi provinciale et les pouvoirs qui sont conférés au mandataire devront être examinés par l’assureur. L’assureur devra ensuite déterminer si le document est valide et si les pouvoirs conférés au mandataire sont suffisants pour lui permettre d’effectuer des opérations au titre du contrat.
En l’absence de mandat, le cotitulaire peut demander aux proches du cotitulaire frappé d’incapacité de faire en sorte qu’il soit nommé tuteur aux biens ou leur proposer de faire une demande afin d’être nommés eux-mêmes tuteurs aux biens pour participer à la gestion du contrat.
Pour une discussion plus approfondie sur les mandats et l’assurance vie, consultez le numéro d’Actualité fiscale intitulé Mandat et assurance vie.
Après le décès de l’un des cotitulaires
Au décès d’un cotitulaire, la loi provinciale sur les assurances prévoit que les droits et intérêts dans le contrat ne font pas partie de la succession et que le cotitulaire survivant conserve les mêmes droits et intérêts dans le contrat qu’avant le décès.
Lorsqu’un contrat d’assurance vie est détenu en propriété conjointe avec droit de survie, le bénéficiaire désigné ne change pas après le premier décès, car la propriété du contrat est transmise au cotitulaire survivant. Comme le décès n’entraîne aucun changement quant à la propriété du contrat, il n’y a aucun changement de bénéficiaire sauf si le cotitulaire survivant en décide autrement. À moins que la désignation soit irrévocable, ce changement peut être fait sans le consentement du bénéficiaire. Il convient de noter que certaines compagnies d’assurance peuvent, au décès de l’un des cotitulaires, informer le cotitulaire survivant de sa capacité à modifier la désignation de bénéficiaire. Elles peuvent même fournir le formulaire à cet effet. Toutefois, une modification de désignation n’aura lieu que si le cotitulaire survivant entreprend les démarches nécessaires pour remplir et soumettre le formulaire de changement de bénéficiaire.
Souvent, lorsque les cotitulaires sont mari et femme, il peut subsister un doute quant à la capacité du conjoint de modifier une désignation sur laquelle les deux conjoints s’étaient accordés initialement au décès de l’un des cotitulaires. L’un des conjoints pourrait avancer par exemple que comme les deux parties s’étaient mises d’accord sur le choix d’un bénéficiaire et compte tenu des dispositions contractuelles, la désignation ne devrait pas être changée. Même si, dans la jurisprudence ayant trait aux droits testamentaires, on retrouve des décisions analogues à l’appui de cet argument (voir Hall c. McLaughlin Estate, 2006 CanLII 23932 [ONSC] et Wright Estate [Re], 2012 BCSC 119 [CanLII]), on ne sait pas trop si leurs conclusions s’appliqueraient à une désignation de bénéficiaire au titre d’un contrat conjoint dont les droits sont transmis à l’un des cotitulaires survivants.
Pour éviter un changement de bénéficiaire après le décès d’un des cotitulaires, on peut effectuer dès le départ une désignation de bénéficiaire irrévocable. Bien entendu, une telle mesure restreindra davantage la capacité des cotitulaires de gérer librement le contrat, car ils devront obtenir le consentement du bénéficiaire irrévocable pour changer de bénéficiaire ou pour céder le contrat, en retirer des fonds, le transférer ou modifier ses couvertures.
a) Incidence sur l’homologation
Lorsqu’un bien est détenu dans le cadre d’une tenance conjointe, l’homologation ne s’applique généralement pas en raison du droit de survie. En effet, l’intérêt dans le bien est transmis automatiquement au tenant conjoint survivant et non dans le cadre de la succession du défunt. Toutefois, comme nous l’avons vu, la distinction entre propriété bénéficiaire et propriété en common law pourrait avoir une incidence sur cette question, plus particulièrement en Ontario, où la Déclaration de renseignements sur la succession (DRS) doit inclure de l’information sur les intérêts bénéficiaires lorsque le titre en common law est détenu par une personne et que l’intérêt bénéficiaire est détenu par une autre.
b) Réclamations pour soutien de personnes à charge
Même si le droit de survie est bien fondé en droit, dans l’affaire Young Estate (Re), 2014 ABQB 125 (CanLII), une réclamation de soutien pour personnes à charge a été effectuée à l’égard de la succession du défunt. La Cour a essentiellement résilié le droit de propriété du cotitulaire survivant. Dans cette affaire, le tribunal était prêt à prendre des mesures appréciables pour pourvoir aux besoins d’une personne à charge. Dans l’affaire Madore-Ogilvie (Litigation Guardian of) c. Ogilvie Estate, 2008 ONCA 391 (CanLII), le produit d’un contrat d’assurance vie détenu conjointement a été versé à la Cour après avoir été à l’origine d’un litige. La Cour a statué que le contrat était un bien de la succession en vertu de la Loi portant réforme du droit des successions de l’Ontario; par conséquent, le produit était assujetti à une réclamation pour soutien de personnes à charge. Toutefois, la Cour d’appel a déterminé que le contrat détenu conjointement n’était pas visé par l’article 72(1)(f) de la Loi portant réforme du droit des successions et qu’il ne faisait pas partie de la succession du défunt aux fins de réclamation pour soutien de personnes à charge.
Décès simultanés
Il est possible que l’un des cotitulaires de l’assurance vie ou les deux ne soient pas l’assuré ou les assurés au titre du contrat (par exemple, dans le cas de parents qui souscrivent un contrat conjoint sur la tête d’un enfant). Dans un tel cas, si aucun titulaire subrogé ou titulaire successeur n’a été désigné dans le contrat et qu’aucune disposition contractuelle ne précise ce qu’il advient en cas de décès simultanés des cotitulaires, c’est la loi provinciale en matière de succession qui s’applique, car les lois sur les assurances des provinces de common law ne contiennent aucune disposition à cet égard. Il est donc toujours recommandé de désigner un titulaire successeur, même si le contrat est détenu conjointement.
Occasions de planification
Planification successorale
L’un des avantages d’établir un contrat d’assurance en tenance conjointe au titre duquel les assurés ne sont pas les cotitulaires est que le contrat ne sera pas assujetti aux frais d’homologation au décès de l’un des titulaires, à moins de problèmes en ce qui a trait à la propriété en common law ou à la propriété bénéficiaire. Dans les provinces où les frais d’homologation sont élevés, il peut être judicieux d’établir un contrat d’assurance en tenance conjointe. Cependant, comme nous l’avons mentionné plus tôt, dans le contexte du droit de la famille, la tenance conjointe d’un contrat d’assurance vie peut présenter des problèmes à l’égard du partage ou de l’égalisation.
Du point de vue administratif, il est en outre facile pour le cotitulaire survivant de gérer le contrat. En effet, mis à part l’obligation de fournir un avis de décès à l’assureur et de déterminer si la désignation de bénéficiaire peut être modifiée, le cotitulaire survivant a peu de formalités à accomplir. La transition pour le survivant se fait plus ou moins sans heurts.
Protection contre les créanciers
Lorsqu’un bien est détenu conjointement, chacun des propriétaires doit savoir que ce bien peut être soumis aux réclamations des créanciers de l’autre propriétaire. Même si le bien ne fera pas partie de la succession du propriétaire à son décès étant donné qu’il sera dévolu au propriétaire survivant, les créanciers peuvent le réclamer du vivant du propriétaire. Il est donc important de se demander s’il est indiqué de détenir le bien conjointement, surtout si l’un des futurs propriétaires sait qu’il pourrait avoir des problèmes avec ses créanciers.
Si un membre de la catégorie privilégiée est désigné bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie, le contrat ne peut pas être saisi par les créanciers du vivant de l’assuré. Cette catégorie comprend le conjoint, les enfants, les petits-enfants ou les parents de la personne assurée. Si les cotitulaires s’entendent pour nommer une personne faisant partie de la catégorie des bénéficiaires privilégiés, le contrat ne pourra être saisi par aucun des créanciers de l’un ou l’autre des cotitulaires.
Fiducies d’assurance
Les fiducies d’assurance sont souvent utilisées dans le cadre d’une planification successorale. Une fiducie d’assurance est créée par le titulaire du contrat d’assurance vie et est constituée uniquement au décès de l’assuré au titre du contrat. À ce moment-là, le produit de l’assurance est versé à la fiducie par suite du décès du particulier assuré et il y est maintenu jusqu’à ce qu’il soit distribué conformément aux dispositions de la fiducie. À l’heure actuelle, pour être considérée comme une fiducie testamentaire au sens du paragraphe 108(1) de la Loi, la fiducie ne doit pas être créée par une personne autre qu’un particulier. En raison de cette exigence, une question a été soulevée quant à savoir si une fiducie d’assurance créée à l’égard d’un contrat d’assurance conjoint dernier décès souscrit sur la tête de deux titulaires peut être considérée comme une fiducie testamentaire. Cette question prend tout son sens dans le cas d’une « fiducie admissible pour personne handicapée » (FAPH) qui indique que la fiducie soit considérée comme testamentaire afin de recevoir un taux progressif d’imposition.
À la question 5 de sa lettre d’interprétation technique no 2008-0270421C6, l’ARC s’est prononcé sur cette question qui lui a été posée lors de la table ronde de la CALU. Elle indique que dans le cas d’un contrat d’assurance vie souscrit sur deux têtes payables au dernier décès où le seul montant payable à la fiducie au titre du contrat est versé au décès du dernier des deux assurés, la fiducie ne perdrait pas son statut de « fiducie testamentaire ». Par conséquent, un contrat sur deux têtes dernier décès pourrait être détenu conjointement, mais toute somme payable au premier décès pourrait s’avérer problématique puisqu’il ne s’avérerait pas testamentaire au titre de la Loi.
Conclusions
Même si on a souvent recours à la tenance conjointe à des fins de planification successorale, il est important de bien réfléchir avant de choisir cette forme de propriété. Elle peut être source d’avantages et d’occasions, mais il importe d’examiner plusieurs questions et considérations – surtout en contexte de droit de la famille – avant de souscrire un contrat d’assurance vie détenu en copropriété.
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